klein chelsea manifeste

«MATERIOGRAPHY»

Expérience de la Matière

• Depuis 1991 j’ai entrepris de récolter et solidifier des matériaux et des sables de la côte Atlantique puis d’autres pays du monde pour créer les pages d’un vaste «Carnet de Voyages». Ces «Promenades Visuelles» prennent aussi la forme de films réalisés à partir des matériaux choisis, d’une durée variable de 1mn à 30mn.

• Pour désigner ce travail j’ai formé le mot «MATERIOGRAPHY» - du latin «matéria»: matière, et grec «graphy»: écrire.

• L’Art est présent partout, ce qui ne veut pas dire que tout est Art. Une trace suffit pour créer l’œuvre. L’Artiste est celui qui a l’audace d'oser sa réalisation, et d'en faire partager l'expérience.

• Léonard de Vinci (1452-1519) dans un de ses carnets conseille «pour exciter l’esprit à diverses inventions», de contempler les murs «souillés de taches informes» ou «faits de pierres bigarrées»: «on y trouve des paysages de montagne, des arbres, des batailles, des figures aux gestes vifs, des visages et des costumes étranges». Les taches colorées des murs, ou les nuages du ciel sont «comme le carillon des cloches qui contient tous les sons et les mots que tu voudras imaginer». L’historien André Chastel note que dans les années 20 Max Ernst découvrit la technique des frottages, dans cette «Leçon de Léonard». (Serge Bramly, Biographie de Léonard de Vinci. J.C Lattés Ed. Paris.1988. P.292).

• Jean Dubuffet (1901-1985) à propos des peintures de matières nommées «Texturo-logies» a écrit: «Les images produites par la matière, quand elle se façonne elle même de l’intérieur et par tous ses pores, sont plus passionnantes que ce que peut produire l’intellect humain. Elles sont porteuses de secrets à découvrir non seulement dans le monde des formes mais dans celui de la pensée. Il a dit aussi: «Ce qui est intéressant, c’est les chemins dont on ne voit pas le bout, les trous dont on ne voit pas le fond, les fumées dont on ne voit pas le derrière. Ça permet à l’usager d’y faire de grandes promenades dans ces portraits là et jamais les mêmes.

• Ce que je cherche aussi à évoquer, dans le graphisme de ces travaux, est une vision du monde: Un monde représenté comme un ensemble entrelacé composé d’une grande variété de parties. Chaque partie est d’égale importance et elles sont toutes connectées ensemble. Combinées les unes aux autres, ces parties individuelles constituent un tout.

• Malevitch (1878-1935): «La nature est un spectacle vivant» a écrit le peintre russe Kazimir Malévitch et, inventant le suprématisme en 1915: «…l’Art c’est créer sur la base du poids, de la vitesse et de la direction du mouvement. Il faut donner aux formes la vie et le droit à une existence individuelle». «De Cézanne au Suprématisme». Ed. «l’Age d’homme». Lausanne 1974. P.55).

• Le peintre Louis Nallard (né en 1919) pense que «la peinture est un règne comme le règne animal ou végétal. Un tableau doit vivre comme un arbre ou un chien.»

• «La sensibilité de l’homme est toute puissante sur la réalité immatérielle. Sa sensibilité peut même lire dans la mémoire de la nature, qu’il s’agisse du passé, du présent ou du futur!. C’est là notre véritable capacité d’action extra-dimentionnelle!».
Yves Klein. Manifeste de Chelsea. 1961.

• L’Art est une forme égoïste de la révolte: c’est une folie construite.

• «Les nuages se déploient dans le ciel, au hasard, certes, mais aussi de manière ordonnée, figés ou enroulés en sillons réguliers comme les circonvolutions du cerveau». Gleick. «La théorie du Chaos». Ed. Flammarion 1988. P.17.

• Chaos: la théorie du Chaos est une idée scientifique. Cette nouvelle science étudie les désordres, ceux de l’atmosphère, de la mer turbulente, des nuages dans le ciel, des formes fragmentées des côtes... Le Chaos semble être partout: dans la colonne de fumée qui s’élève d’une cigarette, dans la formation des orages, dans une casserole d’eau bouillante, dans les variations des cours de bourse...

• Fractale: c’est sur le bord des côtes que l’on trouve un exemple de dimension fractale. Qu’elle est la longueur de la côte bretonne? Selon le mathématicien Benoit Mandelbrot, cela dépend de la distance à laquelle se trouve l’observateur.

• Invariant d’échelle: suivant la distance à laquelle on le regarde, est-ce que le tableau conserve les mêmes qualités? A-t-il une échelle ou pourrait-il s’étendre à l’infini? Ces idées, empruntées à la théorie du chaos, m’intéressent pour l'art. Si cela pouvait avoir un sens, tout en restant dans le domaine pictural, c’est bien ce que j’aimerais suggérer. Mes travaux seraient comme les nuages, les grosses volutes contenant les petites volutes qui y puisent leur vitesse. C’est pour cette raison que je photographie des détails en gros plans car d’une certaine manière, à tous niveaux il me semble qu’elles contiennent des éléments importants: les petites lignes succédent aux grandes lignes qui s’enchevêtrent comme les fils de pelotes de cordes de différentes grosseurs. Comme la ligne d’une côte qui, suivant la distance à laquelle on la regarde, les criques succédant aux falaises, puis les grains de sable aux rochers, se modifie constamment, ce qui fait que sa longueur n’est pas «réellement» mesurable.

• Mes «travaux de matières», «Materiography», explorent (proposent) une esthétique picturale du réel dont les trois composantes principales sont: Formats, Epaisseurs et Lumière.

• Rhizome: «Faites rhizomes et pas racine, ne plantez jamais! Ne semez pas, piquez! Ne soyez pas un ni multiples, soyez des multiplicités! Faites la ligne et jamais le point! La vitesse transforme le point en ligne! Soyez rapides, même sur place! Ligne de chance, ligne de hanche, ligne de fuite. Ne suscitez pas un Général en vous! Pas des idées justes, juste une idée (Godard). Ayez des idées courtes. Faites des cartes, et pas des photos ni des dessins. Soyez la Panthére rose et que vos amours encore soient comme la guêpe et l’orchidée, le chat et le babouin». (MILLE PLATEAUX. Gilles Deleuze et Félix Guattari. «Capitalisme et Schizophrénie». Editions de minuit 1980. P.36.)

• Le format carré de mes travaux s’est imposé à moi en 1991 car il fonctionne dans chaque direction. Les lignes dans la matière doivent pouvoir donner l’impression de se continuer hors limites, de commencer nulle part pour ne pas aboutir.

• La clarté changeante de la lumière naturelle est idéale pour éclairer mes travaux car elle les fait vivre à son rythme. Mais une lumière artificielle peut aussi convenir. La pénombre, une lumière rasante ou colorée peuvent aussi être intéressantes. Chacun peut donc décider de l’éclairage qui lui convient. Je pense en fait qu’il n’existe pas de conditions «limites» pour leur éclairage.

• Tout comme les effets changeant de la lumière naturelle éclairant mes travaux les font vivre, les traces du temps impitoyable, par ses altérations et par sa corrosion, va les enrichir.

• Dans son ambition ultime, mon travail propose l’expérience d’une appropriation du réel, de tous les réels et de leurs devenirs, jusqu’au chaos qui anime la matière: c’est l’intention qui fait l’œuvre!.



P.Gaspard (2004-2017)